…parlons de cul-cul même. Cul-cul, c’est le principal qualificatif qui me vint à l’esprit en lisant la chronique intelligemment baptisée « 300 : This is merdaaaa ! » d’Alexis Bernier et Bruno Icher pour Libération. Très inspirée et franchement drôlesque, cette critique du nouveau film de Znack Snyder, basée sur l’œuvre de Franck Miller, tranche nettement avec l’opinion générale du public et de la presse spécialisée plutôt enclines aux louanges.
Très fins analystes, les deux compères entament leur papier en décriant « l’atroce propagande de droite extrême » que ce film représente à n’en point douter. Ce film d’après eux, ne devrait son accueil chaleureux dans les salles obscures qu’à une habile campagne de marketing viral soutenue à bras le corps par l’armée de geeks attardés drogués aux jeux vidéos et aux comics ultra-violents qu’est la jeunesse de notre beau pays. Jeunesse évidemment dévouée à la cause nationalo-réactionnaire de ce dégénéré de Miller que l’on hésitera pas à qualifier de chien à la solde de l’empire Bushien. Aaah Lénine réveille toi !
Bien sur, je ne suis pas un absolutiste et je conçois tout à fait que des opinions puissent diverger (et diverge c’est énor… non je ne peux décemment pas la faire à chaque note, ça va se voir). L’art c’est subjectif, soit. Miller est patriote sans doute puisque son dernier Batman (votez pour lui) botte le cul à Ben Laden, soit. Mais il est intéressant tout de même d’analyser un instant le cheminement de pensée pouvant mener deux journalistes à déclamer avec autant d’aplomb que 300 est un film de propagande destiné à justifier la toute prochaine invasion américaine de l’Iran.
A la lecture de cette critique, il semble d’emblé évident que nos deux comparses furent rapidement déçus par la teneur du film, n’ayant sans doute jamais lu la BD originale, ni même aucun livre d’histoire sur la Grèce antique (ni même aucun livre du tout d’ailleurs).
Ils s’attendaient surement à un remake de Gladiateur, où la machine hollywoodienne, soucieuse de promulguer une belle pensée positive, s’échine à massacrer des références historiques pour raconter la jolie histoire d’un blanc qui fait copain-copain avec un noir pour défier un empereur très très méchant et mourir en martyre afin de libérer le peuple des joies perverses de la décadence. Tout ça non sans avoir préalablement entamé le film par le joyeux massacre de barbares allemands insoumis au dictat de Rome la magnifique.
Non ! 300 se démarquerait d’après eux du savoureux « bourre-pif antique » par la propagation d’une pensée raciste (parce que tuer du Germain au nom de l’empire c’est pas du racisme puisque c’est des boches justement).
300 fait-il l’apologie de l’élitisme racial et de l’héroïsme primaire ? En voilà une question qu’elle est bonne !
Et bien oui !
Est-ce pour autant du fait de Miller ou de Snyder qui seraient alors de grands nostalgiques du IIIème Reich ?
C’est déjà moins sur.
Bien que Miller ait pris certaines libertés quant à la mise en situation et la description du fonctionnement politique de Sparte et des conflits opposant les cités grecques à l’empire archéménide, même si il avoue sans honte admirer l’héroïsme de Léonidas et de ses 300 hoplites qui se sacrifièrent avec courage pour permettre au reste de l’armée grecque d’organiser ses défenses face à l’envahisseur, nul ne saurait remettre en question les travers des valeurs spartiates qui furent déjà critiquées amplement par Voltaire ou Marrou, il y a bien longtemps de cela. On n’avait donc pas vraiment besoin de Libération pour se rendre compte que l’élitisme racial et la folie militaire ne sont plus très à la mode. Le racisme c’est mal ! (si avec ça je gagne pas le prix Pulitzer…)
Car avec un brin de culture générale, ces messieurs les détracteurs auraient su qu’effectivement, les spartiates étaient bien des fanatiques néo-nazis en jupettes qui se débarrassaient des enfants trop chétifs, rêvaient de mourir à moitié à poil en trucidant l’adversaire au nom de la sainte patrie, et suivaient au pied de la lettre les préceptes de Lycurgue qui relaierait presque Mein Kampf au rayon jeunesse (entre Oui-oui et Fantômette).
Alors bon oui c’est vrai, le réalisateur avoue volontiers se faire chier au cinéma si le quotta de morts n’est pas rapidement atteint. Il précisera néanmoins dans une interview pour le magazine Première que la critique évidente du régime spartiate, d’ailleurs très latente dans les comics de Miller, et qui aurait peut-être calmé les ardeurs bien pensantes des journalistes de Libé, fut évincée du scénario à la demande de la Warner dans le but avoué de faire de Léonidas un héros « gentil ». Pourquoi gentil ? Pour justifier les massacres justement, et éviter de faire l’apologie de la violence non-justifiée (même si on peut largement débattre de la justification de la violence).
C’est un concept très simple : si Hitler tue des millions de juifs, c’est un acte ignoble de barbarie. A l’inverse, si Aragorn extermine des millions d’Orcs, c’est un héros. La différence est que le génocide dans le second cas est justifié par la nécessité de préserver ce qui est bon en ce monde, alors que dans le premier cas, il est justifié par des théories douteuses de Nietzsche. La morale de cette histoire est : ne basez pas votre doctrine meurtrière sur de la philosophie Allemande, mais plutôt sur de la fiction Sud-Africaine, ça passe beaucoup mieux.
Un bon moyen d’éviter les interprétations fantasques de 300 aurait pu être de respecter les quotas de minorités visibles au sein de l’armée hellénique. Après tout, qu’importe les anachronismes au ciné ! On aurait très bien pu foutre des noirs et des arabes dans les rangs de l’armée spartiate et rajouter des suédois dans les rangs perses par la même occasion. Au moins là, aucune accusation de racisme n’aurait été possible.
Au lieu de ça, Snyder a tout de même préféré une démarche plus fidèle à l’Histoire, et plus lyrique aussi en inscrivant l’intégralité du film dans un univers graphique très emprunt de surréalisme et de mythologie. C’est sur, c’est visuellement très prenant mais tout de même… comment ne pas faire la mou devant un David Wenham, cheveux blonds aux quatre vents et pectoraux reluisants de sueur, découpant du Mélophore sans aucune considération humaniste pour l’homme de couleur. Je veux dire, c’est pas parce qu’on est en temps de guerre, 400 ans avant Jésus-Christ, à 300 contre 1, face à un envahisseur venu bruler sa ville et violer sa femme, qu’on doit oublier la sainte parole de Libé quand même. We are the world ! We are the children comme disait cet Oreo de Michael Jackson.
Alors attention, petite leçon d’argot nord américain que je viens d’apprendre aujourd’hui :
Certains le savent peut-être, aux states, on appelle un blanc qui veut se faire passer pour un noir un wigger, qui est la contraction de White (blanc) et nigger (nègre). Le plus fameux représentant des wiggers est le rappeur Eminem. A l’inverse, un noir qui aime se faire passer pour un blanc est appelé un Oreo comme les cookies car ils sont « noirs et durs à l’extérieur mais blancs et mous à l’intérieur ». Bon je sais bien que du coup, qualifier Michael Jackson d'Oreo n’est pas très approprié… La vérité c’est que je ne voulais blesser personne en le traitant de pédophile. Enfin bref, on s’écarte du sujet là, reprenons.
Et si Miller avait conté l’incroyable épopée de l’empereur Xerxès mettant à terre le monde Grec et incendiant Athènes après milles et une batailles contre l’homme blanc ? Sans doute aurait-on eu droit à la dénonciation d’un film de propagande cherchant à stigmatiser le monde musulman comme étant une menace envahissante pour notre civilisation occidentale. Pauvre Xerxès, il aura toujours le mauvais rôle, se faisant même traiter de « chouchou évaporé, sanglé dans une quincaillerie dorée que même Mata Hari aurait trouvé trop voyante ». Bon dieu mais c'est quoi ces propos homophobes ?
Heureusement que Miller n’avait pas dessiné les Immortels tels qu’ils l’étaient vraiment, préférant la minijupe, les sandales, la charlotte et les boucles d’oreilles en or à l’uniforme noir et argent stylisé qu’ils arborent avec beaucoup de classe dans le film.
Donc propagande ou pas propagande ? (je fais genre que je suis pas sur pour faire durer le suspense)
Je l’avoue, je fus disposé un instant à me poser la question alors que Gérard Butler et ses compagnons étripaient avec un grand sourire leurs ennemis en turban. Un bref moment où je me suis dis intérieurement, et si j’étais marocain ou pakistanais là tout de suite, et que je voyais ce bellâtre arien au physique de monsieur univers découper en tranche des gugusses représentatifs du monde arabo-musulman, n’y verrais-je pas une certaine propagande ?
C’est en regardant autour de moi, la salle bondée en grande majorité de… voyons voir, quel mot n’est pas encore complètement tabou de nos jours… personnes représentatives d’une jeunesse colorée qui préfère Adidas à Louis Vuitton et Method Man à Patrick Fiori … bon, parlons plutôt de jeunes des banlieues pour faire comme les vrais journalistes, complètement dans leur élément, se régalant du spectacle avec l’avidité sanguinaire de tout amateur de blockbuster hollywoodien qui colle des boucheries antiques sur une bande son MTVienne tonitruante, que je me suis conforté dans l’idée qu’heureusement tout le monde n’est pas aussi con qu’un critique de Libé.